Une interview de Thierry Bisch, portraitiste animalier

Nous avons recueilli quelques points de pensée de Thierry Bisch, artiste peintre, portraitiste animalier et défenseur farouche de la biodiversité, dans le cadre de son exposition “Tous vivants” aux Grands Chais Monégasques (exposition visible à Monaco à partir du 28 avril 2022),

 

Thierry Bisch, vous continuez votre combat pour la sauvegarde de la biodiversité, y a-t-il des raisons d’être optimiste en 2022 ?

 

Les raisons d’être optimistes s’amenuisent au fur et à mesure que paraissent les rapports successifs du GIEC. L’effondrement de la biodiversité est directement lié à l’inexorable expansion de l’espèce humaine, de la surexploitation qu’elle fait des ressources, de la surconsommation qui entrainent la destruction des habitats naturels de la faune sauvage, des insectes et de tout le vivant sur cette planète. Sapiens a toujours agi ainsi, la paléosociologie a mis en évidence son comportement prédateur dès le néolithique. Il reste pourtant quelques raisons d’espérer, une récente étude révèle que la démographie mondiale, particulièrement en Chine et en Inde, est sur une courbe décroissante…

 

Il ressort de vos dessins comme une puissante sérénité chez les animaux que vous peignez ou dessinez, est-ce là la nature même de ceux-ci ou est-ce la touche du peintre qui met cela en exergue ?

 

Avant de peindre des animaux j’ai passé une dizaine d’années à représenter la figure humaine et plus précisément des portraits d’enfants. Comme pour les animaux ce qui m’intéressait était au-delà de l’apparence physique, de l’anatomie. Ce qui m’intéresse vraiment c’est de tenter de représenter le questionnement, l’interrogation, naguère avec des enfants aujourd’hui avec des animaux, le sujet n’est qu’un prétexte pour parler de tout autre chose. Je mets donc le maximum d’effets dans l’intensité du regard afin que l’observateur soit instantanément happé et se mette à alimenter son propre questionnement.

 

Qu’est ce qui a déclenché ce désir de mettre votre talent au service de la cause écologique ?

 

J’ai eu un choc en 2008. Avant de dessiner ou de peindre un sujet, j’aime bien me documenter, sur sa taxonomie, son habitat, ses habitudes alimentaires, son comportement, bref faire un petit travail d’éthologie. Je remarquais alors que la plupart de mes sujets étaient menacés d’extinction ! Je découvrais la liste rouge de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature) gradée de neuf stades dans l’état de conservation qui vont de « préoccupation mineure » jusqu’à « éteint » en passant par « en danger » ou « en danger critique d’extinction ». Mes sujets étaient quasiment tous dans le haut de la liste, j’étais effaré ! Il fallait faire quelque chose mais je ne savais pas quoi avec mes petits moyens. Mon travail a pris alors une tournure définitivement engagé et militant, je peignais jusqu’alors des animaux, je me suis mis à peindre leur disparition…

 

Vous faites figure de quelqu’un de particulier dans le monde artistique contemporain qui est plutôt orienté vers l’abstraction et le pop-art, comment pensez-vous être perçu pas vos confrères ?

 

Je n’ai pas la moindre idée de la manière dont je suis perçu par les gens du métier et très franchement, ça ne m’intéresse pas, je m’en fiche complètement. Je n’ai pas d’autre ambition que celle de suivre mon chemin, jour après jour en tentant de m’améliorer, je ne cherche pas à plaire à tout le monde. Comme le disait si justement Oscar Wilde « Soyez vous-même, tous les autres sont déjà pris »

 

Ce n’est pas votre première exposition à Monaco me semble-t-il. Quel a été votre parcours ici ?

 

C’est la deuxième fois que j’expose à Monaco. Mes œuvres ont été montrées dans différentes galeries durant des années mais c’est la deuxième fois que je crée un ensemble cohérent pour supporter un engagement, illustrer un thème qui m’est cher. En 2016 je me suis associé à la Fondation Prince Albert II, et nous avons dévoilé une vingtaine de grandes toiles dans la Principauté qui montraient des animaux en train de s’effacer ; l’évènement s’appelait « Delete ? » et coïncidait avec l’anniversaire des dix ans de la création de la Fondation, qui, comme vous le savez, est très engagée dans la lutte pour la préservation de la biodiversité, notamment en créant des AMP (Aires Marines Protégées). Cette année, l’exposition s’appelle « Tous Vivants ! » un questionnement sur notre rapport aux espèces non humaines avec lesquelles nous partageons cette planète. L’idée de ne montrer que des dessins est venue de mon marchand historique, Didier Viltart. En 2021 je lui avais apporté dans sa galerie de Saint-Jean-Cap-Ferrat une dizaine de dessins que j’avais réalisés pendant le confinement. J’étais alors en plein questionnement sur ce que j’allais faire après plus de 100 grandes toiles à l’huile sur le thème « Delete ? » et quoi de mieux dans ces moments de flottement que de reprendre au début, à la base : Du papier, des crayons et rien d’autre…

 

Quel est votre rapport à l’animal ?

 

Un rapport très intime, philosophique et permanent. Je vis avec mon fils aîné, artiste peintre lui aussi, et deux chats dans notre grande maison de Blaye en Gironde. Isaac & Leïla sont des membres de la famille à part entière, comme des enfants auxquels nous devons attention et protection. Les animaux sont doués de facultés cognitives comme le sont les humains, ils peuvent être joyeux ou tristes, ils souffrent ou vous témoignent de l’affection, de l’empathie, bien que leurs modes de communication soient différents des nôtres. Mes questionnements m’ont amené très naturellement au végétarisme et plus j’en apprends sur les questions environnementales plus je réalise que l’élevage intensif et l’alimentation carnée sont le principal levier pour réduire drastiquement notre empreinte carbone. L’abandon de cette pratique pourrait résoudre tous nos problèmes en un temps record..

 

Ferus Gallery

Avril 2022

 

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